Le travail de rue à Ville-Émard/Côte-Saint-Paul

Bilan court en travail de rue dans le quartier de Ville-Émard/Côte-Saint-Paul en 2022-2023

Faits saillants

  • 250 personnes rejointes pour 577 interventions ;
  • 102 personnes entre 12 et 25 ans ;
  • 64% sont des hommes ;
  • Les thèmes majeurs abordés sont le relationnel, les besoins primaires et le cheminement personnel ;
  • La majorité des interventions effectuées sont : l’écoute/l’échange verbal, le support et la distribution de matériels.

Introduction

C’est dans un contexte de totale nouveauté que je suis arrivé, il y a sept mois, au Québec, sur ce poste de travailleur de rue dans le quartier de Ville-Émard/Côte-Saint-Paul. J’ai malgré tout eu la chance de pouvoir compter sur mon ancienne collègue, Andréanne, qui a facilité mon intégration dans ce territoire et ses milieux (auprès des partenaires, de ses contacts…), du haut de ses deux ans et demi d’expérience dans le quartier.

Nous avons collaboré durant 3 semaines avec Andréanne avant son départ. Je suis seul depuis le mois d’octobre 2022. Ce bilan annuel fera état de mes observations depuis mon arrivée. Néanmoins, j’essaye de revenir sur les perspectives de mes anciens collègues écrites dans le bilan annuel précédent.

De fait, je me suis également posé cette fameuse question, lorsque j’ai commencé dans ce quartier : « Mais où sont les jeunes ? » et j’ai obtenu quelques éléments de réponses que je développerai par suite. Enfin, l’autre objectif de mon ancienne collègue était de réinvestir les espaces fermés (commerces, bars…) lors de la pandémie. Ici aussi, il y a eu du travail effectué puisque la crise sanitaire a pris fin, nous y reviendrons plus bas également.


Dynamique du quartier

Il y a une phrase qui n’est pas de moi, mais que j’aime répéter : « on n’entre pas dans Ville-Émard par hasard ! ». Moi j’ajouterai : « Côte-Saint-Paul c’est notre sol ! » en appuyant sur le « nôtre » puisqu’il existe un réel et profond sentiment de fierté et d’appartenance à ce quartier avec une histoire bien à lui et si on n’y entre pas par hasard, on n’en sort pas non plus facilement.

Beaucoup d’habitants sont là depuis très longtemps et nombreux sont ceux qui ne veulent pas quitter le quartier ne serait-ce que pour des démarches de soin ou administratives, même s’il y a trois stations de métro. J’aurais tendance à utiliser la métaphore du village des irréductibles Gaulois dont le village résiste encore et toujours à l’envahisseur. Le mot village est bien approprié puisqu’en s’y baladant, nous avons parfois l’impression d’être dans la couronne périurbaine, la zone pavillonnaire de Montréal.

Tout le monde semble se connaitre et s’invective dans la rue, les mêmes habitués restent dans les mêmes places, que ce soit le Tim Hortons, les restaurants ou certains bars. Si les rues et les ruelles ne sont que peu achalandées, les nombreux parcs font office de lieux de rassemblements pour tous âges. En revanche, le boulevard Monk est la place de Ville-Émard/Côte-Saint-Paul, le lieu de prédilection de ses habitants par son activité commerciale et lieu de passage.

Il est étonnant de voir à quel point ce quartier peut être encore protégé de la gentrification à la différence de tous les quartiers alentour comme Verdun, Saint-Henri et même la Pointe-Saint-Charles dans une moindre mesure. Nous avons parfois l’impression de voir le boulevard Monk comme une zone sinistrée avec ses nombreux commerces et lieux à l’abandon et à louer. Néanmoins, j’ai repéré depuis quelque temps une légère nuance à apporter puisque de nouveaux commerces tendent à s’implanter au compte-goutte avec une clientèle ciblée un peu plus aisée que celle des autres places.

Même si la gentrification semble moins visible dans ce quartier, d’autres enjeux sont bien présents : augmentation des loyers, le coût de la vie, les revenus qui stagnent (salaires, des minima sociaux …) De là, s’ensuit une fatigue et un épuisement des citoyens qui peinent parfois à simplement faire leur épicerie. Ce n’est plus des fins de mois difficiles, mais une question de survie au jour le jour pour certains.

Réalités jeunes

Le travail en partenariat et mon investissement dans les milieux fréquentés par la jeunesse m’ont permis de rentrer plus facilement en lien avec certains jeunes lors de fêtes de quartier, d’évènements communautaires ou activités en partenariat avec Cumulus, l’école ou la maison des jeunes Radoactif.

Si je suis bien repéré et reconnu en tant que personne par les jeunes, je dois maintenant être accepté et interpelé en tant que travailleur de rue auprès d’eux dans le but de faire plus de lien, effectuer de la prévention et au besoin les accompagner.

À mon arrivée, j’observais les jeunes se retrouver souvent sur le carrefour Monk/Jolicoeur sur le temps du dîner. L’hiver diminua cette tendance, les jeunes se voyaient moins dehors. Or, le printemps et les beaux jours ont multiplié la présence de jeunes dans les parcs et dans les rues. Les milieux de vie pour les jeunes sont limités où se retrouver et s’amuser (MDJ, parcs…). Il est fréquent de les voir aller vers les autres quartiers du Sud-Ouest et/ou de Montréal.

En septembre, je me posais la même question que mon ancienne collègue : « Mais où sont les jeunes ? ». Les quelques beaux jours au printemps entrainent une nouvelle tendance qui me permettrait de répondre à cette question, voire de m’investir plus facilement dans ce milieu.

Réalités itinérance

En ce qui concerne les personnes en situation d’itinérance visible, je suis plutôt bien implanté et actif auprès d’eux. La création de lien m’a permis de rester jaser avec certains, voire de faire des interventions ou accompagnements, ce qui a intrigué d’autres personnes qui sont venues m’interroger sur mon rôle ou qui me demandent directement mes coordonnées.

La réalité de l’itinérance dans ce quartier est ancrée dans le temps comme la réalité générale de Ville-Émard / Côte-Saint-Paul. Ce sont des personnes qui sont dans une problématique de marginalisation de longue durée et toujours dans ce même quartier depuis des années. À ce titre, ils sont souvent connus par tous. Le boulevard Monk est évidemment le lieu privilégié des personnes, au vu de la concentration des commerces et de l’activité. La station de métro Monk est également un lieu de rassemblement et où se maintenir au chaud lors des températures hivernales.

Le manque de ressources criant et adapté à cette population fait que c’est tous les jours un combat et un vrai travail de rechercher nourritures, soins, d’effectuer des démarches administratives, trouver un lieu où dormir, se laver… Il s’avère obligatoire de se déplacer entre les quartiers pour répondre aux besoins de base. J’ai donc souvent brisé l’isolement en rencontrant les personnes et en apportant mon écoute mon soutien et mon support (nourriture, billets de bus, vêtements chauds…), mais aussi en les accompagnant ou effectuant des références vers les différentes ressources.

Réalités consommation

La consommation est très taboue et cachée dans ce quartier. Les personnes sont très souvent stigmatisées et parfois même au sein d’un même milieu (conjoint·e / ami·e·s) en fonction des drogues consommées et du mode de consommation. Le lien de confiance avec les personnes est la clef, afin de pouvoir instruire un dialogue et effectuer la réduction des méfaits.

J’essaye le plus possible de délivrer des messages de prévention en échangeant sur la consommation des personnes et il s’avère qu’une fois le lien créé, ce sont surtout les personnes qui abordent le sujet. J’en apprends donc autant si ce n’est plus grâce à eux qu’avec certaines formations théoriques.


Conclusion et réflexion personnelle

Il y a une réelle volonté des organismes communautaires de vouloir offrir des services aux habitants. Nous pouvons espérer que le frein à la gentrification du quartier et la volonté du communautaire pourra accompagner les changements qui approchent et qui paraissent inéluctables. Aux organismes communautaires et à nous d’appuyer et de soutenir les citoyens et citoyennes, tous les habitants et habitantes, qu’ils soient jeunes, âgées, en situation d’itinérance ou de handicap, consommateurs et consommatrices ou étrangers et étrangères dans leurs projets, en vue du mieux-être de chacun.

C’est un vrai plaisir de rencontrer, d’écouter et d’évoluer avec toutes ces personnes. Je tiens donc à les remercier encore, ainsi que toutes les personnes avec qui j’ai travaillé durant ces sept derniers mois que ce soit l’équipe du TRAC, comme tous les autres partenaires. Au-delà d’une expérience professionnelle, c’est un enrichissement personnel constant que je vis en ce moment.


Perspectives pour l’année à venir

Je dirai que je garde en tête comme objectif l’infiltration des milieux de consommation afin d’assurer une présence soutenante et non jugeante. Il me paraît important de distribuer du matériels pour la réduction des méfaits et sensibiliser les personnes aux risques de surdoses avec la distribution des trousses de Naloxone. Enfin, l’autre objectif serait de récolter les graines semées auprès des jeunes durant ces sept derniers mois. Je dois donc m’armer de patience avant de pouvoir espérer créer quelque chose de solide avec ce public.

Florian
Travailleur de rue à Ville-Émard/Côte-Saint-Paul

Faire un don