Le travail de rue à Verdun

Bilan court en travail de rue dans le quartier de Verdun en 2022-2023

Faits saillants

  • 362 personnes rejointes pour 642 interventions ;
  • Près de 66% des personnes rencontrées sont des hommes ;
  • Plus de 69% des personnes ont plus de 36 ans ;
  • Les thèmes majeurs abordés sont le relationnel, les besoins primaires, le cheminement personnel ainsi que la santé ;
  • La majorité des interventions se sont faites sur la rue, dans le métro et au téléphone.

Introduction

Verdun bouge, Verdun vit, Verdun explose. C’est à la fois une aubaine et un défi. Une aubaine parce que l’offre d’activités, proposées par la ville, les organismes communautaires et les citoyen.nes, est importante, surtout en été. Un défi parce qu’on ne sait plus où donner de la tête! Si Verdun est un territoire riche, comme un grand village où il fait “bon vivre” avec un réel sentiment d’appartenance partagé chez ses habitant.es, la gentrification et la solitude sont flagrantes, donnant tout son sens à notre travail : créer du lien avec les personnes.


Dynamique du quartier

Réalités jeunesse

Seulement 6% de nos interventions ont été effectuées auprès des moins de 25 ans. Nous sommes toutes les deux en poste depuis moins d’un an, cela explique ce chiffre, la création de liens avec les jeunes nécessite du temps et une bonne implantation dans leurs différents milieux de vie. De plus, les jeunes sont très peu à l’extérieur durant l’hiver et, ainsi, très peu accessibles. La santé mentale dont les troubles anxieux et la dépression sont décrits comme les enjeux que traversent les jeunes avec, bien évidemment, la question de la consommation (vap’, pot, purple drank ou lean, etc) qui devient de plus en plus accessible. Par ailleurs, l’utilisation des réseaux sociaux explose, exposant les plus vulnérables au cyber-harcèlement.

Nous prévoyons ainsi de nous implanter progressivement dans ces lieux de vie par le biais de Cumulus, l’Ancre des jeunes et la Maison des Jeunes Point de Mire à travers l’animation d’ateliers thématiques et une présence régulière notamment dans les parcs.


Réalités adultes

Tout se dit et tout se sait à Verdun. Nous avons entre autres remarqué une certaine solidarité entre les personnes les plus précaires – entraide qui permet de survivre et de lutter autant que possible face au phénomène de gentrification. Alors qu’une bonne partie des personnes que l’on rencontre ne sont pas souvent physiquement seules, la solitude – ressentie ou exprimée – reste frappante, dévoilant ainsi la superficialité de nombreux liens. Finalement, ces personnes manquent d’un entourage solide avec lequel partager, se reposer et se reconstruire. L’isolement est parfois mêlé à la consommation et/ou à des problèmes de santé mentale. Quant aux ressources, là aussi, nous sommes confrontées à certaines difficultés tels que : le coût financier, les contraintes, les listes d’attente, le manque de service gratuit…

La pression immobilière et les “rénovictions” poussent de plus en plus de personnes à déménager, parfois en dehors de Verdun, donnant ainsi un sentiment de dépossession de leur quartier. Le Comité d’Action des Citoyennes et citoyens de Verdun (CACV) est débordé, certaines personnes, bien qu’hébergées par des proches pour échapper à l’itinérance, sont parfois piégées dans des relations toxiques et de dépendances.

Enfin, quant aux personnes en travail du sexe qui sont elles aussi très isolé.es, le contact s’était perdu et commence tout doucement à regermer par la création de liens et via la distribution de préservatifs.

Réalités itinérance

L’itinérance est une problématique qui nous happe facilement car très visible, majoritairement sur les abords de la rue Wellington et du métro de l’Église. Un noyau de personnes en situation d’itinérance est très reconnaissable et se reconnaissent très bien entre elles. Pour autant, dernièrement, nous voyons l’arrivée à Verdun de personnes fréquentant habituellement le centre-ville, ce qui bouleverse légèrement la dynamique habituelle.

Bien que Verdun dispose d’infrastructures répondant aux besoins primaires et une offre en loisirs conséquentes, celles-ci restent souvent peu ou pas accessibles pour les personnes les plus désaffiliées. Plus particulièrement, les services adaptés pour les personnes en situation d’itinérance qui se font rares dans le Sud-Ouest. Durant l’hiver, l’une de nos plus grandes limites a été d’orienter les personnes vers des lieux d’hébergement, services inexistants dans le Sud-Ouest, et en général de plus en plus difficiles d’accès.

Enfin, nous sommes conscientes qu’une itinérance plus cachée existe à Verdun. Progressivement, nous cheminons pour découvrir ou redécouvrir les maisons de chambres et milieux de vie, nous retissons des liens avec les personnes qu’elles connaissent nos services ou non, cela est moins évident compte tenu de la méfiance qui règne.

Réalités consommation

Malgré la présence historique du site fixe, la consommation demeure stigmatisée et taboue. Si de nombreuses personnes nous avouent facilement une dépendance à l’alcool, la consommation de substances autres, ainsi que la dépendance prennent plus de temps à nous être dévoilées. Néanmoins, nous pouvons reconnaître une demande de pipes à crack et une augmentation du besoin de pipes à méthamphétamine. Malgré la volonté des personnes à affronter leurs difficultés dans la consommation, cela se heurte aux difficultés d’accès aux ressources et aux nombreux plans de deals sur le territoire.

Dyade de Verdun

On dit de notre dyade qu’elle est fusionnelle. Nos contacts mais aussi nos collègues nous confondent souvent tant nous partageons les mêmes idées. Avoir en commun de nombreux intérêts, des origines et des expériences de vie a permis le développement d’une relation basée sur le partage, la communication et le rire. Nos techniques d’approche différentes sont complémentaires et permettent de rejoindre un grand nombre de personnes. Alors que l’une (Rebecca) a dû être autonome dès son arrivée et se faire une place par elle-même, elle a su être un réel tremplin pour l’autre (Marion) dans son intégration et la compréhension des enjeux dans le quartier. Notre dyade est plus qu’une équipe : c’est un espace d’analyse de la pratique, de débriefing émotionnel et de soutien. Essayant de couvrir le quartier autant que possible, nous nous organisons pour assurer toujours une présence, surtout en soirées et fins de semaine. Néanmoins, nous sommes encore à la recherche d’un équilibre et d’outils afin de mieux nous organiser.

Conclusion et réflexion personnelle

Pour conclure, il ne fait pas seulement bon vivre à Verdun, il fait aussi bon travailler. En effet, Verdun est un quartier attachant. Ses habitant.es nous transmettent facilement le lien à leur quartier et son dynamisme renforce ce lien. Ce dynamisme peut vite nous saisir et facilement nous amener à être dans l’intervention alors que nous sommes avant tout des relationnistes plutôt que des interventionnistes.

Si la pandémie est désormais derrière nous, les réalités d’itinérance, de consommation et de gentrification, elles, s’amplifient. Bien qu’heurté par les limites budgétaires et la pénurie de main d’œuvre, le fort engagement communautaire de ce grand village tend à pallier les réalités problématiques et à rétablir le dialogue social. Il est beau d’assister à cette volonté de cohésion sociale, mais ce ne sera possible qu’en incluant réellement les personnes en situation de précarité dans les discussions pour que leur parole soit prise en compte. Nous prenons à cœur notre rôle de témoin, de porte-parole lorsque les personnes ne sont pas considérées, de leur détresse et de leurs conditions de vie, mais aussi de leurs réussites et de tout ce qu’elles ont à nous apporter.


Perspectives pour l’année à venir

Concernant l’avenir, il s’agit d’abord de continuer notre intégration et notre implantation en respectant la temporalité et le rythme des personnes. Même si nous avons l’impression de vite gagner la confiance des personnes et devenir proches d’elles, nous sommes encore au stade de l’apprivoisement des liens auprès des personnes rencontrées. Par notre présence continue, nous avons pour objectif de continuer à tisser notre toile en créant toujours plus de lien avec les habitant.es, les commerçant.es, les acteurs et actrices de Verdun. Cela nous amènera, par ailleurs, à arpenter des rues différentes et ainsi, d’avoir chacune de nous notre propre lecture de Verdun.

Puisque les partenaires constituent un des principaux outils du travail de rue, il s’agit d’établir, rétablir et/ou maintenir les relations pour développer des corridors de services concernant les réalités vécues par la population de Verdun.

Enfin, nous investissons doucement le milieu jeunesse à travers nos partenaires ; Cumulus nous permet notamment d’assurer une présence à l’école secondaire Monseigneur Richard et ainsi de nous faire progressivement connaître auprès des élèves. Pour être bien repérées, nous désirons aussi investir les parcs, les quais et les spots de rencontres extérieures de la jeunesse.

Rebecca & Marion
Travailleuses de rue à Verdun

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