Le travail de rue à Saint-Henri

Bilan court en travail de rue dans le quartier de Saint-Henri en 2022-2023

Faits saillants

  • 330 personnes rencontrées 1043 interventions ;
  • 40 % des personnes rejointes s’identifient comme Femmes ;
  • 25 % des personnes rejointes ont moins de 26 ans ;
  • 44% des interventions se sont faites dans la rue ou le métro ;
  • Les thèmes majeurs abordés sont le relationnel, la dépendance et les besoins primaires ;
  • La majorité des interventions effectuées sont : l’écoute/l’échange verbal, la distribution de matériels et l’information.

Introduction

Dans le dernier bilan, la pratique du travail de rue était nouvelle pour moi et le quartier sortait tranquillement de la pandémie qui avait laissé des traces quant aux aspects sanitaires, sociaux ainsi qu’économiques. Cela fait maintenant plus d’un an que j’arpente les rues du quartier de Saint-Henri en tant que travailleuse de rue et dans ce bilan, je vais expliquer dans quelle mesure mon environnement de travail, et donc ma pratique, ont évolué.

Aujourd’hui, je peux dire que je connais mon quartier. Je me sens implantée, j’ai pris ma place petit à petit et suis dans un processus de familiarisation. Je ne suis plus dans une phase d’observation, mais dans l’action. J’ai réussi à me faire une place auprès des partenaires et des ressources présentes, avec qui j’ai développé un lien et une base plus solide dans le quartier. Je termine cette année avec une grande reconnaissance pour les différents acteurs du quartier qui m’ont ouvert leurs portes. Le partenariat et l’accueil que j’ai pu recevoir ont été importants, cela m’a permis d’avancer dans ma pratique et permis de mieux cibler et répondre aux besoins.

Dynamique du quartier

Lors de mon dernier bilan, je ne connaissais pas vraiment le quartier et j’étais dans la découverte totale de la dynamique, de l’ambiance et du territoire. Je constatais tout de même une itinérance très présente, itinérance qui est d’autant plus importante et visible.

La réalité des évictions et la gentrification amènent de grandes difficultés pour se loger comme l’augmentation des loyers et des critères d’admissibilité (références, enquêtes de crédit…). Les maisons de chambres continuent de fermer et les « squats » et campements s’enchainent dans le quartier. Le démantèlement du métro place Saint-Henri a provoqué une certaine insécurité pour beaucoup de monde de la rue. La détresse a clairement pris un autre tournant auprès de mes contacts, l’écoute et le support moral deviennent indispensables lors de mes passages.

De plus, la concentration des personnes et vulnérables et/ou en situation d’itinérance dans des espaces limités, a apporté une augmentation très importante des évènements de violence et d’insécurité aux abords et aux stations de métro du quartier.

Je remarque que beaucoup de personnes du centre-ville descendent dans le Sud-Ouest notamment à Saint-Henri en amenant certains enjeux de cohabitation. Les artères du quartier comme la rue Notre-Dame ainsi que la rue Saint-Jacques sont attractives et achalandées. De plus en plus de bars et de restaurants dispendieux ouvrent tandis que le nombre de personnes en situation itinérance augmente. Cela accentue et rend plus visible les différences socio-économiques dans Saint-Henri.

Réalités jeunesse

Concernant le milieu jeunesse, j’avais dû mettre en pause mon implantation à l’école Polyvalente de Saint-Henri, avec une forte demande des personnes en situation d’itinérance et étant seule dans le quartier. Je repris les sorties de classe et je remercie l’école pour la possibilité d’être présente sur l’heure du dîner à la cafétéria. Des liens se sont créés avec des jeunes, iels me reconnaissent et m’interpellent à quelques reprises. Je réinvestis petit à petit la maison des jeunes. Je constate chez les jeunes que je rejoins, beaucoup d’isolement et une grande recherche d’appartenance. Beaucoup de difficultés liées aux réseaux sociaux sont vécues par les jeunes.

De plus, il y a une augmentation de la consommation chez les jeunes. Tout cela entraine plus souvent, depuis quelques mois, des violences devant l’école. Mon partenariat avec l’organisme Cumulus lors des kiosques et ateliers me permet d’en apprendre plus sur leurs réalités, d’effectuer plus de prévention et d’être présente auprès des jeunes en cas de questionnements. Auparavant absente par manque de temps, je suis de retour au Carrefour Jeunesse Emploi du Sud-Ouest. Les beaux jours arrivent et je commence à observer la présence des jeunes dans les parcs, milieux que je compte bien investir.

 

Réalités adultes

Dans la continuité de l’année passée, je confirme que je rejoins toujours davantage les personnes adultes. La grande majorité des personnes que je rejoins sont en situation d’itinérances ou de grande précarité. J’ai pu m’appuyer sur la Maison Benoit Labre, organisme bien implanté et bien connu des personnes. Fréquenter cet espace m’a permis de créer rapidement des liens et de me rendre accessible et disponible. Après plus d’un an dans la rue, j’investis des appartements et des milieux de consommation. Mes interventions sont en lien avec les besoins de bases (se nourrir, se vêtir, les hébergements ou des démarches).

Réalités itinérance

Depuis la nouvelle année, l’itinérance est en augmentation constante et est de plus en plus visible. J’ai pu distribuer d’autres tentes et sacs de couchage durant l’hiver. Le manque de ressources d’hébergement implantées dans le Sud-Ouest reste évident et l’accès aux refuges demeure difficile. En effet, celles-ci sont à pleine capacité très rapidement. Les campements se font de plus en plus nombreux et accueillent de plus en plus de monde, ce qui engendre des places moins sécuritaires et des conflits de territoire.

Chez les personnes en situation d’itinérance, je constate de terribles conséquences physiques, dû à une fatigue importante, aux changements de consommations, mais aussi des engelures avec les conditions climatiques. J’accompagne souvent les personnes aux urgences, voir j’appelle le 911 car elles ne sont plus en mesure de marcher. Dormir dehors au quotidien ou dans une station de métro ne permet pas aux personnes en situation d’itinérance de combler leurs besoins primaires.


Réalités consommation

La distribution de matériels sur les 3 derniers mois a doublé. La consommation par injection est très présente, notamment avec des produits de type stimulants. Le nombre de surdoses demeure élevé et la coupe de substances bien trop présentes, ce qui entraine une distribution plus importante de trousses de Naloxone.

Dans les milieux de consommation, je remarque que les consommations varient beaucoup et amènent une certaine inquiétude. J’ai pu ouvrir d’autres milieux depuis un an maintenant et cela facilite la transmission des messages de prévention et de réduction des méfaits. Les personnes nouvellement utilisatrices de drogues, notamment par injection, me demandent souvent des conseils, des techniques plus sécuritaires… Les personnes changent plus régulièrement de matériel, et consomme plus en groupe que seules.

La forte augmentation de consommation amène aussi à une plus grande fragilité physique ainsi qu’à une augmentation de psychose, de délirium et de grande désorganisation. La santé mentale des personnes dans le quartier reste fragile, et celles-ci n’ont pas accès à tous les services adéquats.

Conclusion et réflexion personnelle

Après maintenant plus d’un an au sein du quartier, je continue d’apprendre sur ma pratique au quotidien et sur moi-même. J’observe la gentrification du quartier amène clivage entre les milieux plus aisés et les milieux très précaires. Le constat demeure le même, la crise du logement est belle et bien présente et le manque de ressources d’hébergements reste un problème majeur.

Je ressens une évolution quant à ma place dans le quartier. J’ai ouvert dans les 6 derniers mois, plus de milieux et les objectifs que je m’étais fixés sont largement atteints. Je vais reprendre l’observation et partir à la redécouverte de ce si beau quartier qui change au quotidien et au fil des saisons. De plus, je suis heureuse de l’arrivée de ma nouvelle collègue et j’ai hâte de développer le lien avec elle et de travailler en dyade.


Perspectives pour l’année à venir

Pour ce qui est de mes perspectives pour l’année suivante, je souhaite continuer de découvrir le quartier ainsi que sa dynamique au fil des saisons. J’aimerai acquérir une certaine stabilité au sein du milieu jeunesse avec l’été qui s’en vient et continuer de développer des liens significatifs et de les consolider, notamment en poursuivant mes présences à l’école Polyvalente de Saint-Henri.

Je souhaite reprendre mes temps d’exploration et l’observation du quartier; toujours de me rendre disponible et accessible pour les personnes dans le besoin et continuer d’apprendre au quotidien sur ma pratique de travailleuse de rue qui m’inspire et me passionne. De plus, j’aspire aussi à développer un lien avec ma nouvelle collègue, travailleuse de milieu et pouvoir m’appuyer sur ma dyade.

Laurie
Travailleuse de rue à Saint-Henri

 

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