Le travail de rue à Pointe-Saint-Charles

Bilan court en travail de rue dans le quartier de Pointe-Saint-Charles en 2022-2023

Faits saillants

  • 246 personnes rencontrées pour 928 interventions ;
  • Près de 63 % des personnes rejointes ont plus de 41 ans ;
  • Environ 36 % des interventions effectuées ont eu lieu dans les appartements ;
  • Les thèmes majeurs abordés sont le relationnel, le cheminement personnel et la dépendance ;
  • La majorité des interventions effectuées sont : l’écoute, la distribution de matériel ainsi que la présentation du travail de rue.

Introduction

Je suis arrivé au TRAC à la fin du mois de juillet 2021. Je vais débuter, dans les prochains mois, ma deuxième année comme travailleur de rue à Pointe-Saint-Charles (PSC). Malgré les départs dans les dernières années, j’arrive à faire ma place dans ce quartier et apprendre sur ses dynamiques, ses espaces. Je suis reconnaissant de la chance et de la confiance qui m’est accordée par mon organisme, le milieu communautaire ainsi que par les résident.e.s que je côtoie dans ce quartier. Le travail de rue n’est pas toujours facile, mais les personnes qui occupent se quartier continuent de me nourrirent, de me motiver et de pousser la pratique du travail de rue. Je vais profiter de ce bilan pour partager mon regard sur le quartier et de me projeter dans la prochaine année.


Dynamique du quartier

Réalités jeunesse

Lors de mes discussions avec les partenaires du quartier, j’ai constaté qu’il y a peu d’encrage dans le quartier pour les jeunes. Les organismes ont toujours de la difficulté à les rejoindre de manière significative, principalement ceux et celles plus marginalisé.e.s. Il y a également une inquiétude à propos d’une augmentation de la violence et d’une intolérance venant des jeunes (ex. bagarres, intimidations, taxage, homophobie, etc.). Dans la dernière année, certains jeunes ont été victimes de violences armées (armes à feu et armes blanches). Cela laisse planer une atmosphère d’inquiétude, de craintes et d’impuissances dans les milieux communautaires jeunesse.

Face à ces enjeux, j’ai pu voir un plus grand intérêt pour le travail de rue provenant de ces organismes. Je vais poursuivre mon investissement dans les milieux jeunesse au cours de la prochaine année. L’objectif est d’offrir une présence et un visage familier qui dépasse leur milieu scolaire et de créer des liens avec la jeunesse. Un filet de sécurité dans leur quartier où les jeunes puissent se sentir à l’aise et ouvrir sur leurs réalités.

Réalités adultes

Les travailleurs.euses de rue sont en première ligne et sont témoin de la précarité et des inégalités socioéconomiques vécues par les personnes les plus marginalisées. En plus d’être grandement touchés sur le plan matériel, plusieurs sont aussi affectés sur le plan relationnel et affectif. Les enjeux relationnels prennent encore une grande part des discussions que j’entretiens avec les résidents.es de PSC. Le sentiment d’isolement, la détresse psychologique et les idées suicidaires occupent l’esprit de plusieurs. L’accès aux services psychologiques, sociaux et médicaux demeure toujours aussi difficile, laissant les personnes seules avec leurs problèmes.

En ce qui concerne la question du logement, Pointe-Saint-Charles est toujours affecté par les problématiques illustrées dans le dernier bilan : insalubrité, embourgeoisement, rénovictions, flambée du prix des loyers, rareté de logements réellement abordables, déracinement, surpeuplement dans les logements, etc. Bon nombre de personnes doivent se résigner à payer un loyer qui demande plus de 50% de leur revenu ou d’être plusieurs à occupé un appartement. Certaines personnes ne connaissent que très peu leurs droits en matière de logement. À travers nos discussions, des résident.e.s viennent partager leurs questionnements et leurs inquiétudes concernant des enjeux tels que : l’insalubrité, les tensions avec le locateur ou d’autres locataires, les évictions/expulsions, etc. Le référencement et le partenariat avec le Regroupement Information Logement (RIL) permet d’informer ces personnes de leurs droits, des actions possibles et, ultimement, de prévenir des expulsions ou des évictions. Le travail de rue permet de créer des ponts entre ces personnes et les organismes. Notre objectif est de supporter leur volonté ainsi que de défendre leurs droits.

Le partenariat avec la clinique mobile de Médecins du Monde (MdM) s’est poursuivi durant la dernière année. Son utilisation s’est considérablement accrue comparativement à l’année précédente. Grâce à cela, plus de gens ont pu consulter les services et/ou obtenir des soins infirmiers de manière plus informelle et anonyme. Nous sommes en réflexions avec MdM sur la manière de rejoindre ces personnes et celles qui ont davantage d’appréhensions envers la consultation d’une infirmière. La clinique de MdM est intéressée à se rendre chez les personnes en notre présence. De cette manière, si une personne est inquiète à l’égard d’une condition de santé, nous pouvons être accompagnés d’une infirmière afin qu’elle puisse offrir des soins et d’informer cette personne pour qu’elle puisse prendre un choix plus éclairé sur sa situation.

Réalités itinérance

Pour les personnes en situation d’itinérance, il y a peu de ressources pour leur venir en aide. Certes il y a plusieurs ressources alimentaires dans le quartier de Pointe-Saint-Charles, mais l’absence de centre de jour ou d’autres services essentiels (lits, lavage du linge, douches, etc.) créent un certain nomadisme. Ces personnes voyagent de quartier en quartier pour subvenir à leurs besoins de base. Ce manque d’encrage rend plus difficile la réalisation de leurs aspirations et la stabilisation de leur situation. Ils sont en situation de survie. La transformation des mesures hivernales en mesures pérennes pour les personnes en situation d’itinérance n’ont pas permis d’augmenter la stabilité des personnes, les ressources étaient trop éloignées de PSC. Ces mesures restent insuffisantes considérant le manque de places, les listes d’attente et l’arrivée précoce du froid. Les ressources en itinérance actuelles, quoiqu’essentielles, ne sont pas une solution pérenne et assez significative pour permettre aux personnes en situation d’itinérance de sortir de la rue.

Malgré ce manque de ressources, la plupart des personnes rencontrées sont dans le quartier par un attachement au territoire ou à leurs réseaux sociaux. Même si une grande partie de ces personnes ont grandi à Pointe-Saint-Charles ou dans le Sud-Ouest, il y a parfois des tensions entre cette population et les autres résident.e.s. Le manque de compréhension envers le phénomène de l’itinérance peut amener une certaine intolérance. Les plaintes aux autorités policières ou fédérales (i.e Parc Canada) peuvent accroitre les tensions entre ces instances et les personnes les plus marginalisées. Cette intolérance ne règle pas le problème, elle ne fait que pousser les personnes vers d’autres lieux, à se cacher. Cet isolement rend plus difficile la création de liens et éloigne les personnes du tissu social.

Réalités consommation

Depuis plusieurs années maintenant, la qualité des substances s’est globalement dégradée et les substances sont plus souvent coupées au Fentanyl. Avec le travail de rue, j’ai pu distribuer du matériel de consommation (pipe à crack, pipe à cristal ou kit d’injection intraveineuse) et de prévention (des trousses Naloxone et des bandelettes de test Fentanyl). Offrir de l’écoute aux gens quant à leurs expériences, cela ouvre la porte à un savoir peu souvent considéré. Je suis très privilégié d’avoir accès à ces histoires et à ce savoir. Avec les histoires de surdoses à Montréal et les cas rapportés, ce contexte a permis une plus grande ouverture envers la Naloxone. Il est important de profiter de cette opportunité afin de faire de la prévention et de distribuer davantage de trousses. Dans les derniers mois, de nouvelles personnes ont demandé du matériel d’injection. Cela pourrait être expliqué par une plus grande marque de confiance ou par une augmentation de la consommation par injection.

Conclusion et réflexion personnelle

Le sentiment d’impuissance est chose courante devant les difficultés d’accès aux ressources et la détérioration de la santé mentale de plusieurs. Le travail de rue a permis toutefois d’apporter un support, par une présence inconditionnelle et par la relation d’Être qui est propre à notre pratique. Pour plusieurs, avoir une vie décente et digne, un toit, de la nourriture dans le frigo et un minimum de loisir compose leurs aspirations. Aspirations qui sont loin d’être un luxe. Malheureusement, avec la crise du logement, l’augmentation du coût de la vie ainsi que la stigmatisation vécue par plusieurs, ces aspirations se heurtent à de nombreux obstacles. Le travail de rue n’apporte pas de miracle, mais il est possible de trouver des solutions qui respectent les choix et les perceptions des personnes pour un plus grand bien-être. La résilience et la force d’esprit des personnes que nous rencontrons est le moteur premier de nos actions. Elle nourrit l’espoir et la persévérance.

Perspective pour l’année à venir

Dans la prochaine année, je compte consolider davantage mes liens avec les partenaires et pousser l’action communautaire malgré le travail de rue solo à la Pointe. Je vais profiter de l’ouverture des milieux jeunesse afin de poursuivre mes présences et la création de liens.

Encore une fois, merci au TRAC et aux résident.e.s de PSC pour vos partages et votre confiance. Au plaisir !

Michael
Travailleur de rue à Pointe-Saint-Charles

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